Les perturbateurs endocriniens sont un enjeu de société important, qui renvoie à des débats scientifiques, réglementaires, économiques, de gestion du risque et de maîtrise de l’innovation. Analyses et positions sont multiples et pour le moins contrastées.
Le vocable de perturbateur endocrinien (PE) a été évoqué pour la première fois le 28 juillet 1991 lors d’une rencontre de scientifiques organisée à Wingspread (Etats-Unis) par la zoologiste Theo Colborn. La notion provient de l’observation d’espèces animales (oiseaux, alligators, mollusques, poissons) exposées dans la nature, observations qui ont rejointes celles faites sur la femme et ses descendant exposés au distilbène. Cette approche a fait progressivement émerger cet enjeu d’environnement et de santé publique.
La définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été proposée en 2002 et mise à jour en 2012, reprise ensuite par l’Union européenne en 2017.
« Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et, de ce fait, induit des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou de (sous-) populations ».
Les mots choisis sont à la racine de la difficulté du sujet, voire de l’âpreté du débat, l’OMS ne parle pas de substances qui « agissent sur » mais qui « altèrent », ni de l’induction d’ « effets », mais d’ « effets nocifs ». De fait les substances, ou agents physiques, voire les stress psychologiques agissant sur le système endocrinien, sont nombreux et les effets pas forcément nocifs.
Dans la démonstration d’un caractère perturbateur endocrinien il faut articuler les deux aspects, interférence et nocivité et montrer que la nocivité provient de cette interférence.
Pour reprendre l’analyse de l’anses, on peut aussi se reporter à l’Inserm , plusieurs mécanismes sont décrits. Les perturbateurs endocriniens (PEs) peuvent :
Cette complexité est accrue par trois facteurs : – Le caractère non monotone des relations dose-réponse (les effets ne diminuent pas forcément avec la dose, du moins dans une certaine plage de dose) – L’existence de « Fenêtres d’exposition » (la sensibilité aux perturbateurs endocriniens peut varier selon les périodes de la vie) – La possibilité d’ « Effets cocktails » (on doit prendre en compte également l’exposition de l’individu à un mélange de substances chimiques et comprendre leurs interactions).
S’ajoute le fait que l’espèce humaine n’est pas la seule espèce à protéger.
Un certain nombre d’affections de la santé humaine sont aujourd’hui suspectées d’être la conséquence d’une exposition aux perturbateurs endocriniens : baisse de la qualité du sperme, augmentation de la fréquence d’anomalies du développement des organes ou de la fonction de reproduction, abaissement de l’âge de la puberté, etc. Le rôle des perturbateurs endocriniens est aussi suspecté dans la survenue de certains cancers hormono-dépendants, ainsi que des cas de diabète de type 2, d’obésité ou d’autisme. Un sujet mis en avant aujourd’hui est celui d’une baisse de QI au sein de l’Union Européenne.
La contribution à la baisse de la biodiversité est aussi suspectée. Des études sur l’intersexualité des poissons montrent ce type d’effet dans la nature.
Le nombre de substances suspectées est très élevé et on retrouve des listes allant de la dizaine au millier, avec parfois des ambiguïtés quand des listes de substances « à investiguer » sont assimilées à des listes de perturbateurs endocriniens.
Souvent il s’agit de familles de substances qui sont citées, comme les dioxines, les furanes, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), phtalates, bisphénols, parabènes, organochlorés, l’étain et ses dérivés. Derrière chaque nom il y a des dizaines de substances, avec l’enjeu de savoir si tous les « membres de la famille » ont les mêmes propriétés.
Ces listes sont souvent limitées aux substances chimiques fabriquées. Elles ne mentionnent pas toujours les hormones naturelles, éventuellement synthétisées pour des médicaments humains ou vétérinaires, dont les rejets peuvent agir dans le milieu de façon non intentionnelle (contrairement à l’action sur l’Homme du médicament). Elles ne mentionnent pas forcément les polluants ou les substances interdites depuis longtemps mais persistantes.
Au regard de ces longues listes, des listes plus courtes sont celles des substances investiguées dans divers cadres, et le nombre de substances PE avérée est faible. On compte par exemple, une vingtaine de familles de substances dans REACh. Ces familles sont parfois très grandes.
Les secteurs industriels et commerciaux sont tous concernés, indirectement par certains rejets d’installation, par l’utilisation dans leurs produits finis, ou, en fait plus rarement, par leur fabrication.
L’Union Européenne a récemment finalisé une évaluation (« fitness check ») des diverses façons dont les réglementations prennent en compte aujourd’hui le sujet des perturbateurs endocriniens. Plus de 30 règlementations ont été considérées dont celles sur : les produits chimiques, les jouets, les matériaux de contact alimentaire, les cosmétiques, les produits pharmaceutiques (pour leurs effets sur l’environnement), les additifs alimentaires, les fertilisants, les déchets et le recyclage, les produits phytosanitaires et biocides, les détergents, les dispositifs médicaux, les équipements électriques et électroniques.
Les polémiques sur le sujet sont nombreuses et sont en soi un signal. Les enquêtes sur la perception des risques permettent de concrétiser les inquiétudes. Le baromètre de l’IRSN sur les risques et leur perception permet d’objectiver ces points.
Des méthodes d’essai existent, notamment sur les mécanismes en lien avec les œstrogènes et androgènes, aussi sur des aspects thyroïdiens et de stéroïdogenèse. Mais le déficit de méthodes d’essai, vis-à-vis de la multiplicité des points à étudier sur la perturbation endocrinienne, est reconnu ; d’où l’appel de la Commission Européenne à « obtenir des avancées dans l’élaboration de lignes directrices internationales pour les essais ».
Le hiatus entre les forts impacts qui peuvent être suggérés par des études épidémiologiques sur le diabète, l’obésité, le QI et le déficit de méthodes d’essai sur ces points est frappant.
Les sujets du neuro-développement ou des troubles métaboliques, cités comme lacunaires, s’inscrivent dans des projets de recherche européens sur la compréhension de mécanismes et le développement de nouvelles méthodes (projets européens de EURION).
Entre ces développements et les méthodes déjà validées, existent heureusement des méthodes plus mûres techniquement et qui feront l’objet de pré-validation dès maintenant. PEPPER appuiera demain celles qui sont aujourd’hui en développement.
Pour utiliser une définition dans une approche règlementaire, il faut définir une expérimentation qui porte la démonstration.
Pour les produits chimiques il s’agit des essais biologiques, mettant en évidence effets et mécanismes, sur des cellules ou tissus (in vitro), ou sur des organismes entiers (in vivo). Les analogies, ressemblances et modélisations biologiques ainsi que les méthodes in vitro et in vivo non validées, demandent une approbation au coup par coup par les experts. L’épidémiologie est dans une situation similaire, et évidemment inapplicable pour des substances nouvelles.
La pré-validation est conçue comme un processus amont facilitant et accélérant la validation ultérieure par les organismes internationaux.
Le contexte des perturbateurs endocriniens montre une instabilité avec des incertitudes qui s’entrecroisent entre les domaines de la santé de l’Homme et de l’environnement, des actions réglementaires, des implications sur les acteurs économiques et sur la confiance du public.
Les efforts pour accélérer la maîtrise du risque existent aussi dans tous ces domaines. Suite à la publication par la commission Européenne de la Stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques et aux conclusions du Conseil de l’Union Européenne, les discussions ont désormais commencé à propos d’une définition transversale des perturbateurs endocriniens dan le règlement européen (CE) n°1272/2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges, dit « règlement CLP« . La Commission se fixe l’objectif de finaliser ces travaux sur la mise en place de classe de risque pour les perturbateurs endocriniens dans CLP courant 2022. L’anses a émis un avis (https://www.anses.fr/fr/system/files/REACH2019SA0179Ra-1.pdf) pour définir la liste des PEs qui devaient faire l’objet d’une information aux consommateurs sur l’étiquetage dans le cadre de l’article 14 de la loi AGEC.
La plateforme de pré-validation s’inscrit dans cet effort pour que les outils de caractérisation soient reconnus au plus vite.
Mais les essais doivent être validés par une instance internationale qui apporte une reconnaissance mutuelle par les pays membres. La validation suppose une garantie de qualité et l’accord des membres sur cette qualité. Le principe est que tous les laboratoires réalisant un « essai » doivent trouver les mêmes résultats. L’essai réalisé suivant la méthode d’essai devient « opposable » par exemple dans les réglementations REACh, Biocides, Phytosanitaires, Directive cadre sur l’eau, Dispositifs Médicaux, etc.
Il y a donc une phase très « technique » et une phase d’approbation. L’ensemble est porté par l’OCDE, l’EURL ECVAM et la normalisation (ISO).
La longueur du processus est une faiblesse de ce dispositif. Passage de la recherche à un outil opérationnel (la « recherche translationnelle »), importance ensuite des démonstrations de fiabilité, allongent les délais.
CNTE : Conseil National de la Transition Ecologique
MNHN : Muséum National d’Histoire Naturelle